« il semblerait que l’homme naisse esclave, et que la servitude soit sa condition propre », Simone Weil s’attache à définir un idéal de liberté : « jamais, quoi qu’il advienne, il [l’homme] ne peut accepter la servitude ; car il pense ». Pour elle, se représenter clairement la liberté parfaite ne signifie pas espérer l’atteindre, mais tendre à une « liberté moins imparfaite ». Dans cette partie du livre, elle fait appel à des considérations morales proches du catholicisme. Par exemple : « il suffit de tenir compte de la faiblesse humaine pour comprendre qu’une vie d’où la notion même du travail aurait à peu près disparu serait livrée aux passions et peut-être à la folie ». Plus loin : « serait tout à fait libre l’homme dont toutes les actions procéderaient d’un jugement préalable concernant la fin qu’il se propose et l’enchaînement des moyens propres à amener cette fin ». Mais sa définition de la liberté complète emprunte à Platon : « Quant à la liberté complète, on peut en trouver un modèle abstrait dans un problème d’arithmétique ou de géométrie bien résolu ; car dans un problème tous les éléments de la solution sont donnés, et l’homme ne peut attendre de secours que de son propre jugement, seul capable d’établir entre ces éléments le rapport qui constitue par lui-même la solution cherchée ». « Le fait même de ne pouvoir rien obtenir sans avoir mis en action, pour le conquérir, toutes les puissances de la pensée et du corps permettrait à l’homme de s’arracher sans retour à l’emprise aveugle des passions ». Heureusement qu’elle avait précisé préalablement qu’il s’agit d’un idéal. Elle explique par la suite que nombre de mystères demeurent, notamment ceux liés aux phénomènes biologiques. De plus, « il n’y a rien de commun entre la résolution d’un problème et l’exécution d’un travail même parfaitement méthodique, entre l’enchaînement des notions et l’enchaînement des mouvements ». Elle dépasse la division du travail en conciliant idée et réalisation : « le seul mode de production pleinement libre serait celui où la pensée méthodique se trouverait à l’œuvre tout au cours du travail ». Ainsi, le travail manuel constituerait la valeur suprême d’une civilisation pleinement humaine, n’opposant plus pensée et exécution. Cependant, Simone Weil réaffirme la primauté de la pensée : « la pensée est bien la suprême dignité de l’homme ». A ce titre, la science pourrait permettre, comme l’a mentionné Descartes, de maîtriser la nature. La « valeur véritable [de la culture] consisterait au contraire à préparer à la vie réelle, à armer l’homme pour qu’il puisse entretenir, avec cet univers qui est son partage avec ses frères dont la condition est identique à la sienne, des rapports dignes de la grandeur humaine ». Avouant qu’elle vient de décrire une utopie, elle valorise ce concept datant de Francis Bacon et tente de concilier l’homme et la nature : « « L’homme commande à la nature en lui obéissant. » Cette formule si simple devrait constituer à elle seule la Bible de notre époque. Elle suffit pour définir le travail véritable, celui qui fait les hommes libres, et cela dans la mesure même où il est un acte de soumission consciente à la nécessité ».