Les informations dévoilées par Snowden portent atteinte à l’impérialisme américain, tout en confirmant la réalité d’une guerre économique mondiale, digne héritière de 14-18. Un pays comme la France a-t-il le pouvoir de refuser la bataille ? En cas de réponse négative, ces révélations seraient-elles réellement une bonne nouvelle pour la liberté ?
Les Etats-Unis en guerre permanente
Depuis la première guerre mondiale (déjà à l’honneur avant même la célébration de son centenaire), les Etats-Unis ont bâti leur puissance économique par des interventions militaires à l’encontre des idéologies totalitaires. Aujourd’hui, les ennemis nécessitant l’utilisation de la force, moins nombreux, ne sont plus identifiables de la même manière que du temps de la guerre froide, il s’agit principalement de terroristes et de trafiquants de drogue.
Un article du New-York Times, publié fin mai 2013, juste avant les révélations de Snowden, explique cette évolution. Il reprend des propos du général James G. Stavridis, commandant suprême des forces de l’OTAN quittant ses fonctions et ayant supervisé les opérations en Afghanistan et en Libye.
Stavridis exprime un principe lié à la mondialisation : la convergence. Comprendre : la possibilité d’alliance entre les terroristes et les trafiquants de drogue, notamment pour ce qui est de passer les frontières. Il cite en exemples le Hezbollah qui aurait un pied dans chaque camp, un complot contrecarré alliant l’Iran et un gang mexicain, ou le trafic du pavot qui aide les Talibans à financer leurs opérations.
Dans ce même article, il soulignait les possibilités d’amélioration de l’armée à utiliser à son profit les nouvelles technologies. « Le 20ème siècle s’est consacré à construire des murs […] ». Au 21ème siècle, selon Stavridis, il faut nouer des alliances : « les militaires ont besoin de construire des ponts avec le secteur civil pour créer la sécurité ». A croire que le général Stavridis préparait les esprits à la défection du désormais célèbre informaticien.
Redéploiement des efforts vers la sphère économique
Les révélations de Snowden ne furent pas une surprise pour Bernard Carayon (UMP), maître de conférences à Sciences Po Paris et président de la Fondation Prometheus qui entend défendre les intérêts stratégiques des entreprises françaises. En 2006, il avait déjà tiré la sonnette d’alarme en publiant « Patriotisme économique – De la guerre à la paix économique ».
Lorsque le consultant américain rendit publiques les écoutes de la NSA, Bernard Carayon dénonça l’incrédulité des politiques qui, depuis le général de Gaulle, sont rentrés « dans une culture de la soumission à l’égard des Etats-Unis ». « Avec la chute du Mur en 1989, les Américains ont très vite compris qu’il fallait redéfinir des objectifs en fonction de la nouvelle donne à l’échelle mondiale. L’effondrement de l’Union soviétique rendait le péril militaire moins aigu. Les efforts se sont donc rapidement redéployés dans la sphère de l’économie, et ce à l’échelle mondiale ».
Quelle est l’ampleur de la réorientation des efforts vers l’économie ? Les Etats-Unis conservent un budget militaire pléthorique et en croissance. Ce dernier représentait en 2006 46 % de l’ensemble des dépenses militaires officielles du monde (528,7 milliards de dollars), justifiées par les opérations en Afghanistan et en Irak. En 2012, il était de 682 milliards de dollars, toujours en progression, même si la guerre en Irak appartenait au passé et que le retrait d’Afghanistan s’envisageait.
Budget militaire 2012 (source: SIPRI Yearbook 2013)
Budget en augmentation tandis que les conflits militaires diminuent : ce seraient donc des centaines milliards de dollars que les Etats-Unis investissent dans la guerre économique.
Quelle attitude face à cette guerre ?
Pour Bernard Carayon, la réponse est évidente : nous devons nous battre également et donc investir massivement dans la défense de notre économie. Les américains ayant foulé aux pieds depuis des décennies leur idéologie libérale en privilégiant l’intérêt national, il n’y a pas de raison que nous ne puissions faire de même en promouvant, à l’image d’Arnaud Montebourg, un patriotisme économique, mais aussi en investissant et en définissant des lignes directrices claires.
La France pourrait-elle dire non à cette guerre, ne serait-ce parce qu’elle possède des atouts économiques certains ? Dire non impliquerait une diminution relative de la richesse globale dont la répartition serait à revoir afin de rompre avec les pratiques générant des inégalités insupportables. Dire non demanderait de réviser plus encore le modèle social basé sur l’assistanat et la dépendance plutôt que l’autonomie et la responsabilisation. Or, l’égalisation des revenus appartient à la gauche et l’autonomie à la droite.
Vous l’avez compris, dire non est strictement impossible car les tensions sociales pullulent déjà dans le pays. La dictature économique s’est substituée aux dictatures politiques ou militaires. Son mécanisme est plus pernicieux, sa domination s’effectuant au travers du temps passé, au travail d’une part, à consommer d’autre part. L’économie domine les autres aspects de la vie.
Victoire de la guerre économique
La guerre économique se manifeste dès les études secondaires de manière ouverte, l’école 42 fondée par Xavier Niel dont le recrutement s’effectue dans des conditions spartiates : les jeunes campent dans des salles pour passer leur examen et travaillent 15 heures par jour. Tout ça pour avoir le potentiel bonheur de devenir codeur, une dénomination plus polie que « cracheur de code », expression habituellement usitée dans le monde réel des SSII.
L’affaire Snowden marque une transition d’un monde dominé par des conflits militaires à un monde dominé par des conflits économiques.