La richesse est souvent considérée comme un gâteau. S’il ne fait pas de doute que le gâteau représente l’argent, l’identité du pâtissier ou de la pâtissière varie suivant les idéologies.
Depuis la révolution industrielle et Marx, les entrepreneurs et les salariés se livrent une bataille acharnée pour le titre de pâtissier en chef. Je mets de côté les dits « capitalistes » regroupant tous les gens riches, ces derniers n’appartenant pas forcément à la classe des entrepreneurs rendue célèbre par l’économiste Joseph Schumpeter.
Élargissement de la perspective
Plutôt que de se maintenir simplement dans le cadre d’une entreprise donnée, je vous propose d’élargir la perspective. En effet, le gâteau correspondant à l’argent, il est nécessaire de comprendre le mécanisme de création de l’argent pour appréhender cette question de création de richesse si obscure encore à l’heure actuelle.
L’argent est créé par les banques centrales. Une banque centrale émet de la monnaie en fonction de ce qu’elle estime nécessaire pour satisfaire aux échanges du pays concerné, ou de la zone pour l’Europe. Au sein de ces échanges, il y a un type particulier qui s’appelle l’emprunt, pouvant être contracté par tout individu ou entreprise auprès d’une banque. C’est l’augmentation des emprunts qui entraîne l’augmentation de la masse monétaire et donc du gâteau. Si ce n’est pas le cas, l’augmentation est artificielle et provoque alors une perte de valeur pour la monnaie en question, correspondant à une dévaluation.
Mettons de côté la question de la dévaluation même si elle d’actualité dans ce qui est appelé la « guerre des monnaies ». La création de monnaie ne s’envisage donc que s’il y a plus d’emprunt. Mais quand et pourquoi emprunter ? Si un particulier emprunte pour des raisons immobilières principalement, une entreprise le fait car elle envisage de vendre plus de produits : le chiffre d’affaires rapporté par les ventes supplémentaires compense en positif la valeur de l’emprunt.
Considérations locales et historiques
La richesse est donc augmentée par l’investissement (l’emprunt) en vue de pouvoir revendre plus de produits. L’entrepreneur étant celui qui investit puis redistribue à ses salariés, il est encore aujourd’hui considéré comme maître en sa demeure. Cette domination repose sur le concept que l’idée prévaut sur la réalisation : celui qui a l’idée doit pouvoir récupérer plus d’argent que celui qui réalise.
Qu’est-ce qui pourrait justifier que l’idée prévaut sur la réalisation ? La notion de brevet par exemple, repose entièrement sur ce postulat. L’imaginaire flamboyant de notre société actuelle aussi. Je remonte volontiers à ce cher Platon pour expliquer cette manière de percevoir le monde. Platon a posé comme base inébranlable jusqu’à aujourd’hui que le monde des idées est supérieur au monde réel. Plus de deux mille ans d’Histoire n’ont pas permis de remettre en question cette hypothèse faisant prévaloir l’idée sur la réalisation.
L’opposition actuelle entre patronat et syndicats est la translation de celle entre idée et réel. L’idée a dominé longtemps militairement et par la force : la chute de l’empire romain est en partie due aux techniques barbares employant des épées plus longues ou les arcs redoutables des Huns d’Attila. Les progrès techniques ont ensuite assuré la pérennité plus ou moins longue des empires et des royaumes. 1789 n’a pas remis en question la position du bourgeois (i.e. entrepreneur) ou celle du brevet créateur de privilèges qui naquit en 1474.
Pour une autre perception du gâteau
Patron et salarié contribuent chacun à la création de la richesse : le patron seul avec son idée et son argent ne pourrait pas réaliser. En situation de plein-emploi, cela n’est pas gênant dans la mesure où le salarié peut exercer une pression sur le patron sachant qu’il retrouvera facilement du travail. En situation de chômage de masse comme c’est le cas en France, le patron devient alors tout-puissant, sorte de souverain éclairé (ou non) des temps modernes. Tant qu’il règne sur son royaume en respectant ses sujets et en les contentant, le système peut continuer. Dès lors que la domination devient trop oppressante, c’est le drame, à l’exemple des suicides récents.
Aujourd’hui, le besoin en croissance du gâteau occasionne un revirement de la politique de François Hollande vis-à-vis des entrepreneurs auto-qualifiés de pigeons, illustrant à quel point la gauche et la droite sont à l’ouest. Cela vaut d’ailleurs pour l’Occident, et pas seulement la France, qui espère dans la croissance à 5% sans avoir compris qu’elle ne reviendra pas.
L’opposition bête et méchante patronat-syndicat constitue la sclérose de l’économie qui ne va qu’aggraver les difficultés à venir. Les revendications des syndicats pour plus de répartition sont à mon sens légitimes : je trouve inadmissible que les plus riches augmentent leurs salaires plus rapidement. Par contre, les syndicats n’ont rien compris à l’évolution globale en demandant plus de stabilité dans l’emploi et de protection, c’est irréaliste dans un monde qui change à vitesse V.
Cependant, cette notion d’auto-exploitation confirme l’ingrédient principal du gâteau de la richesse réelle : le travail, produisant un bien ou un service, que celui-ci soit vendu ou effectué dans un intérêt personnel. L’exemple de l’auto-entrepreneur est intéressant car ce dernier n’a de comptes à rendre à personne. Il a l’idée et exécute lui-même, il prend ses responsabilités. C’est en arrêtant d’opposer idée et réalisation que l’Occident pourra se sortir sans trop de dégâts de la situation actuelle tendant à une baisse globale du niveau de vie.