C’est un fait : l’écrasante majorité des économistes jalonnant l’Histoire est d’origine occidentale. Ce simple constat devrait mettre la puce à l’oreille de certains, mais non. Il explique cependant l’aveuglement systématique face aux risques économiques.

Naissance d’un monde économique

L’économie, en tant que science, naquit au XVIIIème siècle avec des hommes comme Adam Smith ou Jean-Baptiste Say, puis s’épanouit avec la révolution industrielle, d’abord en Angleterre. Economie et démocratie sont liées historiquement: la démocratie a permis à tout individu de créer un empire économique. Cette potentialité est devenue le rêve de tout être humain en capacité de le réaliser. Alors que le pouvoir s’acquérait principalement par la force et une bonne dose de politique avant la Révolution, la démocratie lui a offert plus d’espace : l’économie.

La révolution française fut souvent qualifiée de bourgeoise. Si les bourgeois n’en ont pas été les seuls acteurs, ils en furent les bénéficiaires principaux. De souverains éclairés à partir de la Bible, le pouvoir est passé entre les mains de bourgeois éclairés à partir des lois et de la philosophie. Ce changement d’éclairage a eu tendance à effacer la mémoire, à faire oublier que les libertés ne sont pas nées avec la Révolution et ses lumières.

Oui, au moyen âge, les libertés ont grandi plus encore qu’elles ne l’ont fait à la Révolution. Le moyen âge a vu la fin de l’esclavage en Europe, quand l’Ancien Régime s’est permis de le rétablir avec la colonisation. Les libertés occidentales ont cru avec la libération progressive de la classe paysanne qui a pu former une bourgeoisie. Cette dernière s’est rebellée bien avant la Révolution comme en attestent les révoltes bourgeoises en Flandre au début du XIVème siècle.

Un idéal entretenu par l’exploitation

La Révolution, malgré la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, n’a pas contribué à stopper l’exploitation de la main d’œuvre, ni celle des matières premières des pays colonisés. Au contraire, elle n’a fait qu’amplifier le phénomène. La formidable croissance qui a animé l’économie occidentale au cours des XIXème et XXème siècles a été soutenue par cette exploitation systématique comme l’a justement dénoncé Marx.

Le miracle occidental, c’est d’être arrivé à voiler la réalité, à faire qu’elle demeure inconsciente collectivement, notamment grâce à la propagande historique dans les livres de nos chers écoliers et aux vertus de la Révolution qui a fait croire que les hommes étaient libérés alors que seule une poignée d’occidentaux a accédé à la richesse, ce qui n’est pas pour moi la liberté, bien au contraire. Voir des ouvriers asiatiques ou africains travailler à la chaîne dans des conditions pires que celles de la révolution industrielle ne nous choque pas. Si un enfant travaille pour 1 euro la journée c’est choquant, mais un adulte fabriquant une paire de Nike, c’est normal, il est asiatique ou africain.

Une majorité écrasante de la population mondiale vit dans des conditions matérielles que nous qualifions de miséreuses. La gauche caviar se complaît à faire des reportages vantant le bonheur simple des habitants du Bhoutan ou dénonçant la misère africaine, asiatique, sud-américaine, tout en espérant qu’une seule chose parallèlement : la croissance pour sortir d’une crise qui n’en est pas une. Ce n’est pas compatible, car il faudrait que ces gens qui vivent dans la misère puissent acheter la production des pays riches… Or, ils sont pauvres. Faire croire que la demande intérieure chinoise pourra permettre de créer de la croissance en occident revient à faire croire au Père Noël. Mettez-vous deux secondes à la place des chinois: croyez-vous qu’ils vont favoriser les produits importés et donc nécessairement chers quand nous recommençons à nous protéger via le Made in France ?

La crise n’en est pas une

Contrairement à ce que clament la majorité des économistes et des politiques, nous ne sommes pas en crise. La question de la compétitivité n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les pays que nous avons exploités pendant des siècles commencent simplement à dire non. Leur élite bourgeoise, copiant voire souhaitant dépasser l’occident par frustration d’avoir été relégués au rôle de figurant de l’histoire trop longtemps, exploite pour elle-même les matières premières et la population. Sans pouvoir piller les richesses étrangères comme nous avons pu le faire jusqu’à aujourd’hui, la baisse relative du niveau de vie en occident est inéluctable, sauf à déclencher une guerre contre ces pays dominés qui s’émancipent. Option difficilement envisageable car certains ont maintenant l’arme atomique.

Les économistes, dans leur monde de chiffres, ne peuvent comprendre les ressorts psychologiques qui sous-tendent l’évolution actuelle du monde et qui nous acheminent tranquillement mais sûrement vers des moments difficiles en Occident. Nous ne pouvons avoir le beurre et l’argent du beurre. Il n’est pas compatible de souhaiter l’émancipation des pays en développement, et dans le même temps vouloir conserver notre niveau de vie acquis sur le principe de l’exploitation. Mais le mode de vie occidental repose entièrement sur cette bulle imaginaire entretenue grâce aux philosophes, aux médias et aux arts, le cinéma en particulier, isolant psychologiquement d’une réalité qui finit par nous rattraper bien heureusement.

L’aveuglement n’est pas que celui des économistes, c’est celui de la société occidentale dans son ensemble qui ne souhaite pas perdre en niveau de vie (droite et gauche sont autant aveugles l’une que l’autre). Croyez-vous que le « retard » économique du reste du monde va se combler en deux ans ? Même si ce n’est pas souhaitable car la planète ne pourrait soutenir cette consommation, ce serait nécessaire pour éviter une trop forte érosion de croissance en Europe. Mais il faudrait déjà combler les écarts entre pays européens avant cela ! Le « réveil » tant redouté des nations dominées est en train de se produire, elles veulent avoir leur part du gâteau pour leur petit-déjeuner et plus si affinités. Il ne s’agit pas d’une crise. Les crises ont été des soubresauts annonçant cette nouvelle ère dans laquelle nous entrons. Parler encore de crise, c’est n’avoir rien compris à ce qui se passe dans le monde.