Au bord du gouffre il y a dix ans, le géant danois du jouet a stoppé sa course à la diversification pour revenir aux fondamentaux. Et le revoilà en tête de son secteur. "Tout est cool quand on fait partie d’une équipe ! Tout est vraiment génial !" Dans le film d’animation La Grande Aventure Lego, sorti en salles en février, ce sont les bonshommes jaunes du jeu de construction qui entonnent ce refrain. Mais on imagine bien Jorgen Vig Knudstorp, le directeur général de Lego, le déclamer à tue-tête en découvrant les résultats de l’entreprise. Car ils sont "vraiment géniaux" : au premier semestre 2014, pour la première fois, Lego est passé devant Mattel, devenant numéro un mondial des fabricants de jouets. Son chiffre d’affaires a bondi de 11% par rapport au premier semestre 2013, à 2,1 milliards de dollars, contre 2 milliards de dollars pour son rival, en chute de 7%.

Ventes quadruplées

Même si la chanson prône l’esprit d’équipe, le dirigeant pourrait brandir cet exploit comme une victoire personnelle, car c’est lui qui en a été l’instigateur depuis son arrivée en 2004. Cette année-là, le groupe danois affiche une perte de 242 millions d’euros et voit sa dette augmenter, contraignant le directeur, Kjeld Kirk Kristiansen, héritier de la famille fondatrice, à injecter plus de 100 millions, avant de quitter ses fonctions. Jorgen Vig Knudstorp lui succède, premier patron n’appartenant pas à la famille, et entreprend une refonte totale de la stratégie. Une décennie plus tard, les résultats sont là. "En moins de dix ans, notre chiffre d’affaires a plus que quadruplé", se félicitait le dirigeant en février. Le bénéfice, lui, a été multiplié par 28 en huit ans. "C’est une croissance phénoménale compte tenu de la simplicité de leur produit, s’incline Hervé Parizot, ancien président Europe du Sud de Mattel, époustouflé par le succès des briques vendues depuis 1949. Je suis totalement admiratif !"

Renouvellement permanent

Comment Lego a réussi ce tour de force ? En optant en 2004 pour un retour aux fondamentaux. Au début des années 2000, Lego s’était beaucoup diversifié, dans les vêtements, l’électronique, les parcs d’attractions. Des activités en croissance mais peu rentables. Le nouveau patron se recentre sur la brique, et vend les parcs Legoland à Merlin Entertainments. Il se lance à plein régime dans les licences. Créées en partenariat avec Disney et Warner (Star Wars, Harry Potter…) ou en interne (Ninjago, Chima…), elles représentent 20 à 25% des ventes, et font fureur. Depuis le Danemark, 1.000 designers (sur près de 12.000 employés) travaillent à l’innovation constante des produits, en collaboration avec les enfants, qui les testent. "En général, les marques renouvellent 30% de leur gamme chaque année, mais chez Lego, c’est 60%", remarque Gilles Mollard, directeur général de Toys "R" Us France. Au total, 500 références par an sont disponibles. Le fabricant a ensuite conquis de nouveaux segments. En 2012, la gamme Lego Friends dédiée aux filles est lancée. Elle rencontre un franc succès et affiche, en 2014, une croissance d’environ 10%. En mars, c’est la gamme Lego Juniors qui a été mise sur le marché, pour les garçons de 4-5 ans. Lego s’appuie sur une production intégrée, et sur la proximité entre ses quatre usines (Danemark, République tchèque, Hongrie, Mexique) et ses réseaux de distribution. Une autre ouvrira en Chine en 2016, pour alimenter le marché asiatique. "Dans les pays émergents, il y a une demande de marques internationales reconnues, car il y a eu là-bas de nombreux fabricants peu scrupuleux", rappelle Michel Moggio, directeur général de la Fédération française des industries Jouet Puériculture. La demande est là : la classe moyenne est en expansion, et le pouvoir d’achat en hausse. "Lego fait du bon travail, confie un expert du secteur. Et il a un atout face à Mattel : c’est une marque unique, plus facile à imposer."

Contenus audiovisuels

Un problème subsiste toutefois : comment survivre à l’heure où le numérique envahit les coffres à jouets ? Le groupe danois a trouvé la réponse, en créant des passerelles entre le réel et le virtuel. D’un côté, Lego développe des contenus audiovisuels à partir de ses produits. Par exemple, des vidéos sur Internet, puis des dessins animés sur le petit écran pour ses licences Ninjago et Chima. "Nous touchons jusqu’à 25% de l’audience des 4-10 ans en France avec les vidéos Chima diffusées sur Gulli", se félicite Stéphane Knapp, directeur marketing de Lego France. Le groupe se targue aussi d’être la troisième marque la plus vue sur YouTube. D’un autre côté, le groupe danois crée des contenus digitaux qui débouchent sur des gammes physiques. Ainsi, pendant que La Grande Aventure Lego caracolait en tête du box-office, une gamme des effigies du film était commercialisée, représentant alors 10% des ventes en France. Et, actuellement, Lego lance six produits reproduisant des scènes du fameux jeu vidéo Minecraft, vendu à 50 millions d’exemplaires, dont l’éditeur a été racheté par Microsoft pour 2 milliards d’euros. "Le but est de ramener l’univers numérique dans la chambre", résume Stéphane Knapp. Une stratégie qui fonctionne : "Les jeux vidéo à succès, comme Lego Star Wars, ont augmenté la vente des jeux physiques", souligne le directeur marketing.Un deuxième film est prévu pour 2018, dont Lego espère qu’il rapportera autant (environ 450 millions de dollars). Il sera précédé en 2017 d’un opus sur le personnage de Batman, version Lego.

Merchandising efficace

L’entreprise excelle aussi dans l’animation de sa communauté. "Lego est en fusion avec ses consommateurs", remarque Frédérique Tutt, analyste du marché mondial du jouet à NPD. Le Lego Club compte 4 millions de membres. Dans les corners Lego des magasins, la marque est théâtralisée à l’aide d’animations. "Lego investit moins en publicité, indiqueHervé Parizot. Il a donc les moyens de soigner son merchandising, qui est excellent." Des Lego Stores servent aussi de vitrine à l’enseigne (quatre en France).