Lieu commun du moyen âge suivant la perception moderne, la guerre était pratiquée par les seigneurs pour étendre ou défendre leurs territoires. Elle fut aussi longtemps initiée par les valeurs chrétiennes de l’époque au travers des croisades. La justification des croisades d’Urbain II au concile de Clermont en 1095 repose sur deux arguments principaux : combattre les infidèles ayant conquis la Terre Sainte et porter assistance à un ami : Byzance. Transformez « infidèles » en « terroristes » et « Byzance » en « Mali » et vous obtenez une argumentation d’une ressemblance saisissante avec celle de François Hollande. Bien entendu, le terroriste moderne n’est pas l’infidèle, depuis il s’est extrémisé. L’extrémisme est un danger pour la démocratie. Que cet extrême soit de droite, de gauche, ou religieux. Il n’y a guère que l’extrémisme de gauche français qui trouve encore un écho favorable, question d’exception culturelle. Ce que nous nommons extrémisme est une forme de contestation de l’ordre établi. Volontairement, je n’emploie pas le terme « ordre social », car la société est une caractéristique de la démocratie. Auparavant, le terme n’avait pas de raison d’être. Les « terroristes » ont donc conquis par la force une partie du territoire malien afin d’y appliquer la loi islamique, la charia. Les sanctions pour les personnes ne respectant pas cette loi sont physiques, pouvant aller jusqu’à la peine de mort. Il s’agit pour l’occident d’un épouvantail moyenâgeux. Mais combien les terroristes ont-ils fait de morts ? Combien les soldats maliens et français ont-ils tué de terroristes ? Ces questions vous paraissent inconvenantes ? C’est plutôt le fait de ne pas les poser qui l’est à mon sens. Car aucune réponse ne peut être apportée, résultat d’une désinformation (ou propagande si vous préférez) permanente dans un pays où les intellectuels sont parmi les premiers à pointer du doigt les régimes dictatoriaux. A nier la possibilité d’existence d’un mode de gouvernance liant politique et religieux, à désinformer en permanence, nous fournissons aux « terroristes » les arguments qui leur permettent de convertir davantage plus d’adeptes. Parallèlement, beaucoup d’économistes font les louanges de la Chine, modèle semi-autoritaire ayant « réussi ». Voilà une autre dérive. Le succès économique chinois ne doit rien au libéralisme, mais plutôt à l’exploitation capitaliste héritant du colonialisme. Applaudir un régime autoritaire est tout aussi dangereux pour la liberté que de condamner la possibilité d’existence d’un état appliquant une loi religieuse. La dérive religieuse constatée avec effroi en Egypte, Libye, Tunisie ou Syrie (pour mémoire, nous soutenons toujours l’opposition islamique en Syrie) s’explique aisément comme réaction dans ces pays brimés, d’abord par la colonisation, ensuite par des dictateurs considérés comme étant à la botte de l’occident. Dans ce contexte, il est normal que les libertés éclosent sur un temps long. Et il est aussi normal que ces libertés ne s’expriment pas de la même manière que les notre. Arrêtons de prôner la diversité par devant et d’imposer la conformité par derrière! Vient alors l’argument du danger pour le territoire français, lui aussi partie intégrante du discours à la fin du XIème siècle justifiant les croisades. Même si le danger musulman avait été repoussé en France et que la reconquête était en cours en Espagne, il fallait intervenir pour l’éradiquer. Qu’est-ce que nous enseigne l’Histoire à ce sujet ? Que le « danger musulman » a perduré malgré nos interventions. Le résultat des croisades fut plutôt la chute de l’empire byzantin ami au profit de l’empire Ottoman, ce dernier ayant ensuite poussé son avantage jusqu’à Vienne qu’il fallut défendre corps et biens. Si nous regardions l’Histoire autrement que par la lorgnette économique projetant un épouvantail brandit par ceux qui ne veulent pas voir diminuer leur pouvoir et affronter la réalité d’une croissance en berne pour longtemps en occident, nous verrions que les régimes autoritaires s’effondrent sur eux-mêmes. Ce fut le cas de l’URSS, c’est le cas actuellement de la Birmanie, et la Chine s’ouvre petit à petit. C’est après avoir diminué la guerre froide que les régimes se sont assouplis, ce qui ne signifie pas abandonner nos propres défenses. L’intervention française utilise exactement le même schéma justificatif qu’Urbain II, cachant une autre réalité, celle de l’histoire coloniale dont nous sommes les débiteurs. Les réparations que François Hollande vient d’aller faire en Algérie sont de la même veine. Le Mali, bien entendu est devenu un pays ami par la colonisation qui a dessiné ses frontières actuelles. De là en grande partie vient le mal. Car les djihadistes ont su tirer parti des querelles internes entre groupes ethniques différents devant cohabiter par nécessité depuis le départ de la France. A la fin du XIème siècle, Byzance était réellement le dernier rempart géographiquement parlant pour l’occident, d’où la nécessité de lui venir en secours. Aujourd’hui, c’est l’Algérie. Si nous n’avons pas voulu attendre que l’Algérie prenne le taureau par les cornes, elle qui prônait une solution politique, c’est peut-être à cause de cette mauvaise conscience coloniale. Nul doute que la prise d’otages d’In-Amenas aurait changé la donne vis-à-vis de l’implication Algérienne. Voler au secours du Mali, pays envers lequel nous sommes débiteurs historiquement, est une croisade moderne contre les djihadistes désignés comme principal danger pour la démocratie, notre démocratie. L’intervention servira-t-elle la démocratie ou sera-t-elle simplement une nouvelle intrusion visant à conforter « l’intégrité » de frontières que la France a imposées et instaurer la « démocratie », l’ordre moral moderne occidental ? Il y aura des morts quoiqu’il arrive. Ce que je regrette, c’est qu’en intervenant, nous imposons une nouvelle fois notre vision du monde et ne laissons aucune chance aux africains d’acquérir leur liberté, de construire et organiser leur état ou leurs états à leur guise. La liberté ne s’impose pas, elle se conquiert, nous devrions pourtant être bien placés pour le savoir. Seulement, aveuglés par la peur de la menace terroriste, nous préférons fermer les yeux et répéter les mêmes prétentions dominatrices millénaires. Oui, la France aurait pu dire non au Mali. Un non qui je le pense demande plus de courage qu’un oui et une aide héroïque à moindre frais, du moins pour le moment. Une aide qui ne fait qu’entretenir l’asservissement centenaire par cette nouvelle chaîne et empêche une quelconque conquête de liberté aux différentes ethnies maliennes. Les terroristes trouveront toujours une base pour agir, leurs camps d’entraînement en Afghanistan n’ont pas disparu complètement par l’intervention. Cependant, plus nous continuons à vouloir étouffer dans l’œuf tout mouvement totalitaire, plus nous le favorisons, lui ou d’autres naissant. Nous les favorisons en notre propre sein, comme l’illustre l’affaire Merah. C’est cela le plus grand danger pour la démocratie. Le danger pour la France n’est pas au cœur du Sahara, de même qu’il n’était pas en Terre Sainte au moyen âge.